dimanche 14 décembre 2014

Il y a des mots qui sont magiques



Par Daniel Meurois


Le mot Amour, par exemple.

C’est même sans doute le plus magique d’entre les magiques. On a l’impression en effet qu’il renferme en lui les arcanes de ce qui guérit tout et qu’il est donc le baume ultime à toutes les dissensions humaines et à toutes les plaies de l’âme. Son aura est si universelle que même les personnes qui, à nos yeux, sont parmi les plus sombres de notre espèce n’hésitent pas à l’utiliser.
En réfléchissant à cela aujourd’hui, j’en suis venu à me demander le pourquoi réel de cette magie. La réponse n’est pas si évidente qu’on le croit. Il me semble en fait qu’elle peut considérablement varier d’une personne à l’autre, en fonction du niveau de conscience de celle-ci, autrement dit de sa perception de la vie… puis d’elle-même au cœur de cette vie.
Oui, plus j’y songe, plus il me paraît certain que l’Amour ne signifie pas la même chose pour tout le monde. Selon certains dictionnaires, il serait une disposition affective à l’égard de ce qui paraît être bon…
C’est justement là que commence le flou ! Au sein exact de l’idée du "bon".
Qu’est-ce qui est bon, au juste ? Le « juste » ? Sûrement pas…
Toutes les guerres résultent d’une mésentente sur ce qu’on décrète juste ou injuste. Les Croisés n’ont-ils pas trouvé bon de massacrer au nom du Christ ? Certaines civilisations précolombiennes ne croyaient-elles pas en la justesse des sacrifices humains pour obtenir les faveurs célestes et prouver ainsi leur amour envers la Divinité ? Chacun sait que la liste de ce genre d’aberrations pourrait s’étirer à l’infini.


Dès qu’on se tourne vers le passé, il nous est bien sûr facile de dénoncer de telles perceptions de ce qui est bon et de ce que l’amour réclame. Leur absurdité saute aux yeux mais… qu’en est-il, par contre, de ce qui se passe aujourd’hui ?
Ce n’est pas très différent. Tout le monde continue de vouloir le bien, le bon, l’amour, donc… et c’est pour cela que tout le monde continue de se faire la guerre avec les mêmes bonnes raisons.
En tant « qu’ancien jeune des années soixante », j’ai pu espérer, comme beaucoup, que le « peace and love » du mouvement hippy et son prolongement à travers la galaxie du courant « Nouvel-âge » seraient porteurs d’une redécouverte de l’amour ou d’une expression plus large de son sens.
Cela a été vrai jusqu’à un certain point. Un certain, seulement… car on est finalement retombé dans le flou. Le mouvement hippy s’est suicidé par noyade dans le marécage des drogues; quant au Nouvel-âge, il est moribond, si ce n’est déjà mort, étouffé par la profusion et l’inconsistance des rejetons mercantiles surgis de son tronc.

Et l’amour, lui, dans nos esprits, n’a toujours pas quitté son rang de grand guérisseur flou. Il demeure le magicien espéré mais non identifié clairement.
Pourquoi ? Je ne prétends évidemment pas avoir la réponse à une telle interrogation mais je me demande si ce n’est pas parce qu’il y a avant tout sur cette planète plus de six milliards de personnes jouant un rôle qui est rarement le leur. Plus de six milliards de personnes ne parviennent pas à faire autrement que de porter douloureusement des masques c’est-à-dire, en résumé, de faire semblant, d’envier, de jalouser et de ne connaître, pour exister, que le rapport de forces

Il est vrai qu’il est difficile d’être vrai… Alors on est des myriades à s’inventer des rôles et des prétextes jusqu’à finir par croire à ceux-ci.
Oui, être vrai, c’est sans doute ce qu’il y a de plus complexe et exigeant. C’est pour cela que notre humanité est encore et toujours à la poursuite d’un concept magique, celui de l’Amour qu’elle ne parvient pas à incarner.
Qu’on le veuille ou non, l’amour dont nous sommes capables est invariablement exclusif au sens premier du terme, je veux dire qu’on en exclut toujours quelque chose. Il s’en trouve bien sûr de-ci de-là pour continuer d’affirmer à coup de « messages stellaires » que « tout le monde est beau et gentil ». Hélas, il semble bien que cette affirmation au style « fleur bleue » soit plutôt légère face au défi qui consiste à incarner un amour qui soit vraiment l’Amour.
Non, je ne crois pas que tout le monde soit beau et gentil et que c’est précisément pour cela que nous sommes ici, dans le melting-pot de cette Terre. Si de la Vie nous ne connaissons qu’une sorte de brouillon malhabile et trop souvent souffrant, c’est parce que ce n’est justement pas ailleurs que dans la densité de la glaise où nous pataugeons que l’Amour auquel nous aspirons peut se tisser.

 

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